REGARDS SANS FARDS SUR LA JUSTICE MALGACHE ou comment réconcilier les justiciables avec la justice à Madagascar ? Faratiana ESOAVELOMANDROSO – 29 octobre 2013

Une « justice saine, équitable, impartiale, respectueuse des droits de l’Homme et sécurisante pour les investissements », voilà ce la population malgache est en droit d’attendre. Pour l’heure, les critiques à l’endroit de la magistrature malgache pleuvent encore, elles viennent aussi bien des simples citoyens que des magistrats eux-mêmes dont certains écrivent ouvertement que « des magistrats corrompus et incompétents existent encore dans toutes les instances judiciaires et même au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature, car les membres élus au sein du CSM ne viennent pas d’ailleurs (…) »
. Les magistrats avaient d’ailleurs déclaré, lors des assises nationales de la magistrature, « refuser dorénavant toutes considérations ne répondant pas à la stricte et équitable application de la Loi dans l’exercice de leurs fonctions »
. Divers points sont systématiquement soulevés dans ces critiques : les corruptions au concours d’entrée dans la magistrature, l’incompétence, l’absence d’éthique et même l’atteinte à la laïcité.
L’atteinte à la laïcité dans le secteur de la magistrature malgache s’est surtout fait sentir au
moment de la période transitoire qui va de l’année 2009 à 2013. Les locaux du Ministère de la justice abritaient des séances d’exorcisme des « mpiandry » et des séances de prières ; des cellules de prières avaient été mises en place dans certains tribunaux, une salle a même été construite dans la cour du Ministère de la justice pour le groupe de prières5
, autant d’exemples patents de cette atteinte à la laïcité alors même que la dernière Constitution malgache de 2010 énonce clairement en son article 1er que « Le Peuple Malagasy constitue une Nation organisée en Etat souverain, unitaire, républicain et laïc ». Il est donc difficilement compréhensible que des bâtiments publics deviennent des lieux de culte ou que des lieux de culte soient construits dans l’enceinte de bâtiments publics administratifs. Parallèlement à cette forme d’exhibitionnisme religieux, la corruption s’est plus que jamais développée dans le secteur de la magistrature malgache au point que ces séances de prières étaient considérées par les justiciables comme une manière de les duper. La religion ou plus particulièrement le christianisme a sa place à Madagascar
si bien qu’une manifestation à outrance d’une certaine « religiosité » pourrait
laisser penser que la personne serait digne de confiance. Un magistrat qui le montrerait
publiquement, qui égrènerait son discours de versets bibliques, donnerait ou voudrait donner le sentiment de devoir être considéré comme intègre, presque irréprochable ce dont il n’est pas forcément.
Les suspicions relatives à la corruption lors des concours d’entrée à l’Ecole Nationale de la
Magistrature et des Greffes (ENMG) quant à elles se sont avérées plus que légitimes : des élèves ayant réussi un concours censé être des plus élitistes et très sélectif – où seuls les meilleurs réussissent – ont par la suite redoublé ou même ont été renvoyé au bout d’un semestre de scolarité pour inaptitude donc incompétence  Le Directeur Général du Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO), organe chargé entre autre de mettre en œuvre la stratégie de lutte contre la corruption à Madagascar, a même déclaré que des magistrats hauts gradés sont mis en cause dans des corruptions à un concours d’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature et des Greffes.
La question du non-respect du code d’éthique et de déontologie à travers des comportements déviants de certains magistrats est une réalité, le recueil des décisions disciplinaires du conseil supérieur de la magistrature révèle des cas où l’éthique et la déontologie des magistrats ont été plus que foulés au pied.
Si « la hantise du mauvais juge est commune à toutes les cultures et tous les pays », le
justiciable malgache se retrouve non seulement avec l’angoisse du mauvais juge mais aussi et surtout l’angoisse que son affaire soit jugée par un juge corrompu. Des initiatives ont été prises à travers des ateliers, colloques, table ronde pour non seulement analyser les sources de ces maux mais également interpeller et proposer des solutions. Les critiques se trouvent malheureusement justifiées et continuent de porter invariablement sur la corruption, l’impunité, le corporatisme et même l’incompétence. A chaque manifestation touchant la justice, des termes reviennent souvent tels que « une crise de confiance entre la Justice et la population », « inquiétude sur l’avenir et le
devenir de la justice ». Le lien est vite fait entre la recrudescence de la justice populaire et ce manque de confiance en la justice étatique puisque les maux de la magistrature malgache ne relèvent malheureusement pas du mythe. Il s’agit pourtant d’un raccourci condamnable dans la mesure où plusieurs faits concourent à la recrudescence de la justice populaire ; ainsi en est-il du manque de confiance aux forces de l’ordre, des retards dans les interventions des forces de l’ordre, de la méconnaissance du système judiciaire et de ses procédures, de la lassitude face à l’impunité dont bénéficient parfois les délinquants et criminels ou même des effets de groupe qui favorisent la vengeance collective…Des efforts ont été fournis et doivent être menés pour que la magistrature malgache puisse se défaire de ses plaies, l’objectif étant de retrouver une justice érigée véritablement en service public. Pour ce faire et eu égard à la situation désastreuse dans laquelle s’est embourbée la justice malgache, des réformes ont été menées, d’autres doivent être menées et des propositions peuvent être avancées par tout citoyen puisque la justice est l’affaire
de tous et non du seul juge. Etant donné que « juger les autres a pour contrepartie d’être jugé par eux », le meilleur moyen de redorer le blason de la magistrature est l’acceptation par les magistrats de l’idée et du principe selon lequel ils sont jugés par le peuple malgache au nom de qui ils rendent la justice et cela ne peut se faire que si la transparence (I) est de mise, une transparence qui va à rebours de tout corporatisme (II).

I-TRANSPARENCE JUDICIAIRE

« Le principe de la transparence judiciaire s’appuie essentiellement sur la proposition selon
laquelle le public doit pouvoir faire l’examen critique des tribunaux. (…) Il vise à prévenir
l’arbitraire, la corruption et l’injustice ». Cependant, dans le cas de Madagascar où la crise de la justice est telle, cette transparence ne peut pas se limiter aux décisions de justice mais va en amont même du système judiciaire à travers l’accès à la profession de magistrat et donc l’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature et des Greffes.
La justice est rendue par des magistrats dont la grande majorité, ces bientôt vingt dernières années, est issue de l’ENMG, une école qui est née en 1997 et où l’entrée se fait par voie de concours. Après quelques années de dérives, des réformes ont été entreprises pour assurer une réelle sélection par le mérite et donc rendre crédible le concours d’entrée. Ces réformes ont porté sur la transparence dans le cadre de l’organisation des concours d’entrée à l’ENMG19. Un des points clés de la réforme est le changement de jury à chaque étape du concours, la co-présidence du jury d’admissibilité assurée par un magistrat et un universitaire, ainsi que l’intégration d’une personne non magistrat dans le jury d’admission qui siège avec les magistrats et les universitaires. Ces différentes étapes du concours ont pour point commun de lutter contre le corporatisme et la corruption qui ont tant miné ce concours, un corporatisme malsain qui s’est manifesté par le népotisme et une sélection qui n’avait de sélection que de nom. La crédibilité du concours d’entrée à l’ENMG était si écornée au point qu’aujourd’hui les épreuves orales du concours se passent à la salle d’audience de la cour suprême et font l’objet d’enregistrement.
Certes, le concours d’entrée à l’ENMG a perdu de sa crédibilité et était vivement critiqué, le fait que des élèves par la suite se trouvent frappés d’incompétence à poursuivre la formation est suffisamment significatif, mais enregistrer les épreuves orales – qui rappelons le sont publiques – est une véritable preuve de l’absence de confiance quant à la sélection. Enregistrer c’est mettre sous surveillance virtuelle : cette mesure était certainement nécessaire à prendre, il faut espérer qu’elle ne soit pas permanente et que la confiance puisse de nouveau être accordée aux membres du jury qui doivent impérativement être des personnes compétentes et intègres. En tout cas, avec ces dernières réformes, il est permis de penser que la sélection a au moins le mérite d’être plus transparente et plus crédible. Si ces réformes ont été saluées, elles sont loin de suffire puisque la justice est une chaîne qui ne peut être effective que si chaque maillon de la chaîne remplisse correctement son rôle. La transparence des décisions de justice23 est également requise, elle est ce qui permet le mieux au juge de rendre compte à la population –au nom de qui il rend les décisions de justice – de la façon dont il rend justice  ; c’est de loin « (…) la meilleure voie de contrôle de l’activité judiciaire, au-delà de celles qui sont inscrites dans la loi elle-même ».

La transparence des décisions de justice permet au public de comprendre la décision rendue à travers la motivation ; la transparence des décisions de justice permet au public d’y voir une ligne jurisprudentielle claire, d’éventuels revirements de jurisprudence ce qui permettrait d’éviter les décisions imprévisibles défiant toute logique juridique ; la transparence des décisions de justice est le gage d’une décision assumée, d’une justice crédible permettant un regain de confiance de la population en la justice de son pays ; la transparence des décisions de justice met surtout le juge face à ses responsabilités et le protège. En effet, dans les résolutions des assises nationales de la magistrature, les magistrats de Madagascar se sont engagés à « défendre et préserver (leur) indépendance en refusant et en dénonçant publiquement toutes interventions tendant à modifier le cours normal d’une procédure judiciaire ou la décision juridictionnelle qui sera rendue ». Or, qui dit modification du cours normal de la décision juridictionnelle signifie d’ores et déjà violation par le juge de l’obligation qui pèse sur lui à savoir « trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

La motivation de la décision rendue est la manifestation de l’obligation du juge « d’énoncer en substance les motifs qui ont servi de base légale à la décision de justice rendue en audience publique »; la publication de la décision ainsi rendue et motivée est ce qui permettra d’une part au public d’apprécier l’application de la loi par le juge et d’autre part au juge de se défaire de toutes pressions et interventions « tendant à modifier le cours normal d’une procédure judiciaire ou la décision juridictionnelle qui sera rendue ».

Il semblerait qu’une des raisons pour lesquelles certains juges cèdent à ces interventions est la peur d’une « affectation disciplinaire déguisée». L’affectation disciplinaire n’est prévue par aucun texte régissant le statut de la magistrature et elle ne devrait pas avoir lieu. En effet, le non-respect du code de déontologie des magistrats, le non-respect des obligations qui pèsent sur les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions est sanctionné par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont expressément prévues par la loi.

Il s’agit de « 1°-l’avertissement, 2°-le blâme, 3°-la radiation du tableau d’avancement, 4°-la réduction de l’ancienneté, 5°- l’abaissement d’échelon, 6°-la suspension de solde, 7°-l’exclusion temporaire de fonction, 8°-la rétrogradation, 9°-la retraite d’office, 10°-la révocation sans suppression des droits à pension, 11°-la révocation avecsuppression des droits éventuellement acquis à pension d’ancienneté ou propositionnelle ».
Ainsi, si le CSM procède à l’affectation d’un magistrat dont l’incompétence ou le manque
d’intégrité est avérée, une telle décision ne peut être admise dans la mesure où « elle prive le magistrat intéressé d’une garantie fondamentale le droit de s’expliquer et de se défendre ; elle justifie le reproche, souvent formulé, selon lequel les magistrats ne répondent pas pleinement des fautes qu’ils auraient commises ; elle constitue un détournement de procédure et entache d’illégalité la décision prise ». Si une décision d’affectation est prise pour agir contre une faute disciplinaire, cela constitue la preuve que le magistrat restera impuni puisqu’aucune des sanctions prévues par la loi n’est prononcée à l’encontre de ce magistrat. Seule la nécessité de service dûment justifiée permet l’affectation des magistrats du siège. Cette nécessité de service est une réalité de la justice malgache36 ; l’affectation des magistrats du siège sans qu’il y ait atteinte à leur inamovibilité est ainsi amplement justifiée et il revient au CSM de motiver également sa décision en mettant en exergue la nécessité de service en question au sein de la juridiction auprès de laquelle le juge du siège est affecté. Lorsque la décision n’est pas motivée, lorsque la nécessité
de service n’est pas constatée et que le magistrat est affecté après avoir refusé de suivre les diverses interventions, l’affectation constitue dans ce cas une atteinte à l’indépendance de la justice.
La décision d’affecter un magistrat dont le manque d’intégrité est certain est plus que
condamnable. Le Conseil Supérieur de la Magistrature qui a pour rôle, entre autre, de gérer la carrière des magistrats et qui procède aux affectations n’a pas vocation à « sauver » un magistrat reconnu notoirement comme incompétent et corrompu. Affecter un tel magistrat équivaut à « taire » sa faute disciplinaire et même à la favoriser, cela équivaut à ne pas appliquer la loi et donc faire acte de forfaiture de la part de l’organe disciplinaire. Il s’agit ni plus ni moins que de la manifestation du corporatisme malsain si souvent dénoncé. Le CSM n’a pas vocation à déplacer un problème en affectant un magistrat reconnu comme corrompu ou incompétent dans une autre juridiction, ce serait admettre qu’il y ait des juridictions de seconde zone où l’on enverrait les « rebuts » de la magistrature et ce serait donc considérer qu’il y aurait des « citoyens de seconde zone » qui n’ont pas besoin de justice compétente, intègre et impartiale. En affectant les magistrats corrompus dans ces juridictions éloignées et enclavées, le CSM ne punit pas le magistrat en question mais punit les justiciables de ces endroits qui aspirent comme n’importe quel justiciable à une justice rendue par des juges intègres et compétents. Si ces tribunaux ont été ouverts c’est bien parce qu’il y a une nécessité, c’est bien parce que les citoyens de ces endroits ont également des droits à faire valoir devant la justice, c’est bien parce que le droit à une justice compétente, indépendante et impartiale est un droit fondamental garanti par la Constitution.
Une fois de plus, un des remèdes est la transparence qui cette fois concerne l’organe du Conseil Supérieur de la Magistrature. Les décisions disciplinaires du CSM ont fait l’objet de publication, ce qui a le mérite de contribuer à la transparence. L’intérêt de la publication des décisions disciplinaires du CSM devrait permettre de dresser une jurisprudence du CSM mais également un contrôle de motivation des décisions du CSM qui autrement serait aussi taxée de partisane. Cette ligne jurisprudentielle est pourtant difficilement décelable, les mêmes causes ne produisant pas toujours les mêmes effets et surtout, les décisions ne sont pas toujours clairement motivées. A titre d’exemple dans une décision n°5938, deux magistrats sont impliqués dans une affaire où le magistrat Z. s’est concerté avec une des parties au procès en vue de l’aider à gagner son procès et ce moyennant paiement de la somme de 60.000.000 fmg, le magistrat Y impliqué dans la même affaire a reçu du magistrat Z. la somme de 60.000 .000 fmg en vue de statuer en faveur de la société. Le CSM a considéré que le magistrat Z. est coupable de « manquement grave aux
principes de l’intégrité et de l’impartialité », tandis que le magistrat Y a fait preuve
d’ « impartialité manifeste et violation des dispositions relatives à l’intégrité » : la sanction
prononcée par le CSM est la rétrogradation pour le magistrat Z. et l’abaissement d’échelon pour le magistrat Y. Dans une autre décision n°4039, un magistrat U a reçu d’un justiciable la somme de 1.700.000 fmg à son domicile pour faire naître l’espérance d’un succès. Le CSM a considéré qu’il y a eu manquement « aux devoirs de son état à l’honneur, à la dignité ou à la délicatesse » et a prononcé la sanction d’exclusion temporaire de ses fonctions pendant une période de trois ans. Ce qui semble être une même faute disciplinaire – une corruption indéniable- est sanctionnée différemment : à l’un est infligé la sanction d’exclusion temporaire, à l’autre une rétrogradation et au troisième un abaissement d’échelon. Un autre exemple de cette absence de ligne jurisprudentielle claire peut également être tiré du même recueil. Dans une décision n° 4640, un magistrat X a commis des absences irrégulières depuis la fin de sa position en disponibilité, le
CSM lui a infligé la sanction de mise à la retraite d’office ; dans une décision n°5241 un magistrat Y a également commis des absences irrégulières, le CSM lui a infligé la sanction
d’avertissement. L’absence de ligne jurisprudentielle claire quant aux décisions disciplinaires du CSM peut engendrer chez les magistrats le sentiment d’arbitraire et chez les justiciables une impression d’impunité des magistrats favorisée par le corporatisme.

II-LUTTE CONTRE LE CORPORATISME JUDICIAIRE

Lorsque le justiciable se rend compte qu’il y a eu corruption, incompétence ou absence d’éthique, que ce justiciable saisit les organes compétentes chargées de sanctionner le magistrat et qu’il constate que le magistrat en question n’a pas été inquiété ou qu’aucune sanction ne lui a été infligée, le sentiment que les magistrats sont impunis remonte à la surface. Cette impunité résulte d’un « corporatisme » qui dessert le code d’éthique et de déontologie des magistrats.
Le corporatisme en soi n’est pas forcément mauvais42 et le réflexe est le même dans tous les corps de métier, mais lorsque le corporatisme favorise l’impunité et le népotisme, il dessert inévitablement l’idée d’une justice impartiale, saine et équitable : « (…) plus que tout autre, ce corps qui est tout entier au service de l’Etat et du bien commun a besoin de n’être entravé par aucun réflexe corporatiste ». Au corporatisme s’ajoute le concept de « fihavanana » si cher aux malgaches, mais qui très souvent est utilisé à mauvais escient. En reprenant les conditions d’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, il est apparu que les concours les plus décriés ayant entraîné la mise en place du nouveau règlement intérieur de l’école en 2014 sont ceux dans lesquels une bonne majorité des élèves-magistrats qui ont réussi le concours avaient des relations plus ou moins étroites avec des hauts responsables de la justice. Entendons-nous bien, le fait d’être enfant de magistrat ou membre de la famille d’un magistrat ou d’un responsable au sein du département de la justice n’est pas une tare pour réussir un concours d’entrée à la magistrature, bien au contraire ! En évoluant dans le milieu de la magistrature, il est compréhensible qu’un tel
candidat ait un penchant pour la magistrature et puisse avoir un plus, ne serait-ce qu’en terme de connaissances pratiques. Cependant, le corporatisme que nous dénonçons est mis à nu lorsque de tels candidats, devenus élèves magistrats, se trouvent par la suite «inaptes » à poursuivre la formation une fois qu’ils ont intégré l’école, ce qui signifie que leur entrée n’a pas été fondée sur la compétence. En ce sens, les réformes quant au concours d’entrée ont permis de lutter plus ou moins efficacement contre le népotisme et ce par le biais de la lutte contre le corporatisme.
Au-delà de la corruption et du népotisme à l’entrée à l’ENMG, les citoyens accusent également les magistrats de vouloir adopter une posture de personnes « intouchables voire impunis ». Le dernier maillon de la chaîne qui est l’organe de recours est le CSM. Le CSM a fait l’objet de diverses réformes dont la grande première est celle de 200847.

Le souci d’indépendance par rapport à l’exécutif ayant été la raison fondamentale de la réforme, la composition du CSM a été révisée. Si auparavant, il était composé de magistrats en majorité membres de droit sous la subordination hiérarchique du Ministre de la Justice, désormais en dehors des magistrats membres de droit, les autres magistrats qui composent le CSM sont tous des membres élus ce qui était censé garantir une certaine indépendance. Aux magistrats – qui sont majoritaires – s’ajoutent des personnalités non magistrats. L’exposé des motifs de la loi organique de 2007 énonce que
« la magistrature doit également se départir du corporatisme, aussi néfaste pour sa
respectabilité », c’est la raison pour laquelle des personnalités extérieures à la magistrature ont été intégrées au CSM. La réforme de 2008 a été jugée insuffisante, certains des magistrats élus membres du CSM semblent ne pas avoir été finalement à la hauteur de l’attente des magistrats au point que le CSM a fini par être décrié, la question de la représentativité ayant été soulevée, une autre réforme a été jugée nécessaire : celle ayant abouti à la loi organique 2014-019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi organique de 2008 relative au conseil supérieur de la magistrature. Cette réforme de 2014 a posé de nouveaux critères d’éligibilité à l’égard des membres, désormais un membre magistrat du CSM doit avoir accompli au moins huit années de service effectif au sein de la magistrature 50 . La réforme de 2014 a aussi procédé à une augmentation du nombre des magistrats élus dans un souci de meilleure représentativité des magistrats : de sept, le nombre de magistrats élus siégeant au CSM est passé à 14, ce qui fait une
composition du CSM avec un total de 16 magistrats, 3 non magistrats, le vice-président du
CSM et son Présiden. Avec une telle composition, si le souci de représentativité des magistrats est résolu, il n’en est pas de même de la tendance au corporatisme. A l’issue des différentes réformes, les non magistrats sont restés minoritaires or l’ouverture du CSM à des personnalités non magistrats avait pour objectif de contribuer à la lutte contre le corporatisme pour que le CSM gagne en crédibilité. A cela s’ajoute de récentes critiques concernant le dernier mode de nomination du représentant de la société civile au titre du mandat du CSM 2014-2017. En tout état de cause, si les non magistrats peuvent interpeller et servir de gardes fous, lorsque des décisions doivent être prises, ces non magistrats resteront minoritaires. Il est ainsi évident que le nombre plus qu’insignifiant de non magistrats au sein de l’instance – trois non magistrats sur 21 membres – est loin de permettre de combattre efficacement le corporatisme. Il n’est d’ailleurs pas inutile de préciser que même si le CSM siège en tant que conseil de discipline, les décisions
sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, et là encore, il
arrive que le corporatisme prenne le dessus puisque le Conseil d’Etat aura à juger un de ses pairs, ce qui pourrait entraîner des dérives allant jusqu’à l’impunité.
Une impunité – tel que le ressent les justiciables – et qui a été dénoncée lors de l’atelier national pour l’élaboration d’une stratégie décennale de lutte contre la corruption à Madagascar en décembre 2014. Au cours dudit atelier, des participants issus de la société civile avaient fortement critiqué ce qui était perçu comme une volonté des magistrats de se soustraire aux règles spécifiques de lutte contre la corruption. En effet, le CSM avait semblé vouloir reconnaître un statut particulier et des procédures particulières à l’égard des magistrats qui seraient susceptibles d’être entendus par les différents organismes d’investigation et plus particulièrement par le BIANCO dans la phase d’enquête. Or, les dispositions spéciales relatives à la lutte contre la corruption prévoient que les immunités et privilèges ne doivent en aucune façon constituer des obstacles à la poursuite et la répression de la corruption60. La corruption judiciaire est la pire forme de corruption, elle favorise l’impunité, et s’il est un domaine dans lequel le corporatisme doit être absolument banni c’est bien au sein de la justice qui est une des fonctions régaliennes de l’Etat. Quel espoir peut-on attendre d’une lutte contre la corruption si la justice est peu digne de
confiance ou pire est corrompue ? La confiance en la justice semble être assurée, dans l’esprit des justiciables, lors des formations collégiales. « La collégialité présente plusieurs garanties, tant pour les magistrats que pour les justiciables : elle permet au magistrat de se former et d’enrichir sa réflexion au contact de ses collègues ; elle lui assure une protection qui garantit la sérénité des délibérés et l’indépendance de sa décision ; elle assure au justiciable une décision mesurée, peu susceptible d’avoir été influencée par la partialité d’un juge, et dotée d’une plus grande autorité ». Il peut d’ailleurs être considéré comme absurde le système qui prévaut actuellement dans certains ordres de juridiction où les jeunes magistrats sortant de l’école avec peu d’expériences siègent à juge unique, alors que les magistrats expérimentés sont dans les formations collégiales, et ce ne serait-ce que par rapport à l’expérience de la vie ou de l’injustice.
En effet, tout comme dans le système français qui est souvent dénoncé, « un jeune magistrat sorti de la dernière promotion de l’Ecole nationale de la magistrature a plus de pouvoir que le premier président de la Cour de cassation : il peut enlever un enfant à sa famille ou contribuer à priver une personne de sa liberté d’aller et de venir », d’où des propositions à ce que chaque juridictionsoit constituée d’un pool de magistrats siégeant alternativement. Peut-être, pour le cas de Madagascar, que c’est cet immense pouvoir dévolu au juge unique –dont certains juges abusent – qui est la cause de leur réticence et leur « demande de reconsidération des décisions du CSM » lorsqu’ils sont affectés à la cour d’appel où les magistrats siègent de manière collégiale.

Conclusion

Les maux de la justice malgache ne sont pas insurmontables et ne sont pas spécifiques à
Madagascar ; sous d’autres cieux, des réformes en profondeur avaient été menées pour lutter contre la corruption dans le domaine de la justice, à l’instar de la Roumanie. Pour l’ancienne ministre de la justice de la Roumanie et membre du parlement européen « Il ne suffit pas de recommander la pleine indépendance des juges, leur rémunération importante (…), encore faut-il être attentif au choix des titulaires de cette fonction. De même, la création de conseils supérieurs de la magistrature chargés de régir le système judiciaire ne garantit pas en soi la répression des juges corrompus ; elle a parfois conduit, au contraire, à la défense corporatiste de leurs intérêts.
Certains juges sont même opposés à l’uniformisation de la jurisprudence, qu’ils considèrent
comme une violation de leur indépendance, ce qui rend l’issue des poursuites imprévisibles ».
Si pour les magistrats malgaches, cette indépendance passe entre autre par l’éviction du Président de la République et du Ministre de la justice dans la composition du CSM afin d’éviter une influence de l’exécutif 65; pour le justiciable malgache, la question porte plus sur la confiance en la justice qui passe d’abord par une véritable sélection des personnes amenées à devenir magistrat, elle passe ensuite par la prise de sanctions efficaces contre les magistrats déviants, elle passe enfin par la mise en place de la transparence judiciaire et la redevabilité du juge pour lutter contre l’impunité des magistrats favorisée par le corporatisme malsain et un pouvoir d’interpellation.
C’est à cette quête d’indépendance que les magistrats malgaches se battent. Dire que
l’indépendance est avant tout une question de personne est certes une lapalissade mais en même temps réducteur de la question. L’indépendance n’est pas une faveur accordée aux magistrats, c’est un devoir, c’est une des obligations à la charge du magistrat66 qui doit « exercer sa fonction de façon indépendante, conformément à l’esprit de la loi, sans influence extérieure, incitation, pression, menace ou interférence directe ou indirecte, de la part de n’importe qui que ce soit »,ce qui exige de la part de tout un chacun un respect de cette indépendance des magistrats. Mais cette indépendance s’acquiert également et passe avant tout par la reconnaissance par les magistrats de leurs propres dépendances : dépendance vis-à-vis des amis de la même promotion, dépendance vis-à-vis de la famille, dépendance vis-à-vis de ceux qui viennent de la même Région qu’eux, dépendance vis-à-vis des collègues à travers les services rendus et les retours d’ascenseur… et la volonté de se défaire de ces dépendances68. L’indépendance exige aussi la prise de conscience de la contrepartie de ce pouvoir de juger qu’est « être jugé à son tour », juger publiquement et être également jugé publiquement à travers le comportement éthique ou non, à travers la publication des décisions de justice rendues, à travers la publication des décisions de l’organe disciplinaire qu’est le CSM. En effet, « à trop quêter l’indépendance sans
s’interroger sur ses fondements, les magistrats finissent par oublier la plus naturelle des
interpellations : qui t’a fait roi ? », c’est la population devant qui le magistrat prête serment
publiquement qui l’a fait roi, c’est la population au nom de qui la justice est rendue qui l’a fait roi et c’est vis-à-vis de cette population que le magistrat est redevable, doit rendre compte de la façon dont il use de son pouvoir de juger. La confiance de la population malgache en sa justice résulte avant tout de la capacité des magistrats de se défaire de leurs propres dépendances – dont la corruption et le corporatisme– pour que la justice puisse être réellement indépendante.
Si l’idée que tout un chacun a de la justice est l’impartialité ; l’idée que tout un chacun a de
l’injustice est la partialité et l’impunité : une partialité dont bénéficient ceux qui seraient bien nés, qui profiteraient des largesses d’un juge et une impunité favorisée par des immunités et privilèges dont bénéficie un certain nombre de responsables détenteurs de pouvoirs à Madagascar. Les malgaches ne pourront se réconcilier avec leur justice que s’ils vivent réellement au quotidien ce qu’est une justice saine, équitable, impartiale, respectueuse des droits de l’Homme et sécurisante pour les investissements